Huit ans après son engagement volontaire, Thomas a souhaité retourner en Tanzanie retrouver les personnes qu’il avait rencontrées alors, et voir où en étaient les initiatives qu’il avait accompagnées.
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Thomas, 8 ans après ton volontariat de solidarité internationale en Tanzanie, tu es retourné voir les partenaires tanzaniens de Fert. Qu’est-ce qui t’a poussé à repartir en Tanzanie cette année ?
Même si j’ai volontairement laissé passer quelques années, revenir était une évidence.
Pour le sourire et l’insouciance africaine, l’envie de reparler swahili, l’impatience de revoir quelques amis et paysans d’exception dans ces contrées reculées, la curiosité de voir l’effet de 10 ans de croissance à 7%/an et bien évidemment, la hâte de mesurer l’impact des différents projets auxquels j’avais participé. Dans la région de Morogoro, j’ai vu pas mal de « cadavres » de projets internationaux : des hangars vides, d’énormes machines rouillant au soleil faute d’entretien ou de pièces détachées, des champs en friche faute d’infrastructures, des projets de villages « paradisiaques (sic) » à jamais utopiques… Les esprits aussi en gardaient les cicatrices : que d’appréhensions pour revenir vers une banque locale lorsque la précédente a fait faillite il y a une trentaine d’années!
Il me tardait ainsi de voir s’il avait été réservé un sort différent à nos actions…
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Qu’as-tu constaté durant ce voyage 2014 ?
De manière générale, compte tenu de la forte croissance économique du pays, je m’attendais à des changements relativement importants. Mais, mis à part des grands travaux à Dar es Salaam, les villes moyennes et surtout les villages ont peu changé : quelques bâtiments de Morogoro s’élèvent un peu plus haut, les moto-taxi chinoises ont remplacé les voitures taxi Toyota autrefois importées de Dubaï, les minibus collectifs (dalla-dalla) sont concurrencés par des monospaces aux vitres teintées qui partent plus régulièrement. On capte maintenant la 3G dans la plupart des zones urbaines et le téléphone portable est devenu le nouveau porte-monnaie : l’argent y est en sécurité et peut facilement être transféré à des proches à l’autre bout du pays.
Je suis retourné dans la plupart des villages avec lesquels nous avions travaillé.
Concernant les marchés ruraux, ceux de Kinole et Nyandira semblent particulièrement bien fonctionner en termes de flux de marchandises. Lors d’une randonnée dans la forêt primaire des monts Uluguru, j’ai croisé un paysan et son fils de 12 ans, en tongs, sous la pluie, apportant respectivement 50 et 20 kg de pois au marché. Leur village est à 5 heures de marche de Nyandira.
Le village de Kinole, qui a récemment vu arriver l’électricité, est une vraie success story. Tous les camions de transport de marchandises appartiennent désormais à des négociants du village ou des villages avoisinants. La Saccos de Kinole, qui distribue chaque année plus d’un million d’euros de prêts, n’y est pas pour rien. Celle-ci s’informatise et son bâtiment reste, de loin, le plus beau du village ; un signe qui ne trompe pas ! A l’origine, ce sont quelques jeunes de l’équipe de foot de Kinole qui ont décidé que l’isolement et la pauvreté n’étaient pas une fatalité. Il y a une quinzaine d’années, le village n’avait ni électricité ni téléphone et, en raison des pluies, les routes étaient parfois impraticables pendant des semaines.
Le marché de Tawa sert de foire hebdomadaire pour des produits non alimentaires car les agriculteurs rassemblent leur récolte plus haut dans la montagne. Malheureusement, je n’ai pas pu me rendre sur le quatrième site, le grand marché de maïs de Kibaigwa (région de Dodoma).
Concernant les Saccos (banques coopératives), 7 Saccos, sur les 12 que nous avions soutenues dans la région de Morogoro, poursuivent leurs activités. Compte tenu de la complexité de ces activités et de l’appui très limité reçu ces 8 dernières années, on peut dire que les petits « paysans-banquiers » des montagnes Luguru ne s’en sortent pas si mal !
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Avec le recul, quel bilan fais-tu de ces actions conjointes et de leur impact sur les producteurs locaux / populations locales ?
En seulement trois ans de volontariat en Tanzanie, j’avais déjà constaté des changements visibles dans certains villages où des Saccos étaient implantées. De nouvelles activités voyaient le jour comme des petits hôtels, des épiceries, des décortiqueuses pour le riz ou le maïs, des véhicules de transport, mais aussi des bars avec billards ou salles de projection. On sentait que le village « brassait plus d’argent » et qu’une banque locale dynamique pouvait faire la différence.
Dans un village comme Kinole, on comprend comment, en une quinzaine d’années, des infrastructures (marchés, routes, irrigation) et des capacités financières (Saccos) ont permis à des villageois bien organisés de modifier les rapports de force avec les négociants de Dar es Salaam. Les villageois maîtrisent maintenant une grande partie de la chaine logistique et donc de la valeur ajoutée.
Huit ans après, les résultats restent tout de même assez hétérogènes suivant les villages mais tous peuvent constater que l’isolement et la pauvreté ne sont pas des fatalités.
Avec le recul, je me rends compte que la réussite d’un projet tient moins à des facteurs techniques ou environnementaux qu’aux qualités des hommes à qui ces projets sont confiés. L’identification de paysans à fort potentiel et ayant de hautes valeurs éthiques est capitale pour amener des changements durables dans ces zones rurales. Néanmoins, cela prend beaucoup de temps ; l’erreur et les déceptions sont nombreuses. Il me paraît donc particulièrement important que les associations de développement interviennent sur la durée.
Fert s’est dotée de moyens et d’une démarche lui permettant d’agir ainsi, dans la durée et la continuité. J’ai été ravi de rencontrer, en Tanzanie, les nouveaux collaborateurs de Fert qui poursuivent l’accompagnement de ces actions dans ce très beau pays.
De 2003 à 2006, Thomas Chandesris a travaillé comme volontaire de solidarité internationale pour Fert en Tanzanie. Il a contribué à deux actions mises en œuvre en partenariat avec Mviwata, réseau paysan tanzanien :
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Un projet de marchés ruraux financé par l’AFD visant à améliorer les conditions de commercialisation de produits agricoles (fruits, légumes, légumineuses, maïs) issus de zones souvent reculées. Ce projet a permis la construction et l’appui au fonctionnement de 4 marchés ainsi que l’amélioration des routes d’accès.
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Un projet de microfinance rurale financé par l’Union Européenne et les coopérations française et italienne, et destiné à développer des services financiers adaptés aux besoins des paysans dans trois régions de Tanzanie (Kilimandjaro, Dodoma, Morogoro). En partenariat avec une ONG locale (Umadep), Fert a participé au renforcement et au développement d’un réseau de coopératives rurales d’épargne et de crédit (Saccos).